1939-1945 : des camps à la liberté, témoignage de Mr Simon PERNOD.
1939-1945 : DES CAMPS A LA LIBERTE
Témoignage de Monsieur Simon PERNOD, transcrit dans la revue » témoignages des déportés et prisonniers de l’Ain », éditée en 1985.
Qui était Monsieur Simon PERNOD ?
- né en 1914
- décèdé le 6 Janvier 1999
- Président du Comité du Monument départemental aux Déportés de l’Ain, situé en bordure du lac de NANTUA ( M. PERNOD, ami du sculpteur réalisateur de cet impressionnant monument, en est l’instigateur.) L’inauguration eut lieu en 1949.
- Président du Comité des Déportés de NANTUA afin de venir en aide aux veuves et orphelins de la déportation.
- Maire de NANTUA
- Conseiller Général du Canton de NANTUA
- Chevalier dans l’ordre national du Mérite
- Dernier domicile : MONTREAL – LA CLUSE 01460
- Déporté matricule n° 42.743
Nous tenons sincèrement à remercier la famille de Monsieur Simon PERNOD, de son autorisation à publier ses témoignages écrits…
AFIN QUE NUL N’IGNORE CETTE TERRIBLE EPOQUE DE LA REPRESSION NAZIE où la vie humaine ne représentait rien, si ce n’est un moyen de parvenir à la solution finale pour les races que les dits nazis considéraient comme inférieures.
TEMOIGNAGES de Monsieur PERNOD
» un travail hallucinant : brûler ou enterrer des milliers de cadavres » :
Etant affecté le 1er Janvier 1944 au crématoire de BUCHENWALD avec mes camarades, nous collections devant chaque bloc les cadavres des morts de la nuit.
Ces cadavres étaient dépouillés de tous vêtements et chaussures, et le numéro matricule de chacun était marqué sur la cuisse; puis on les conduisait sur le glacis de stockage.
A partir de Février 1944, il arrivait des convois de trains chaque nuit à BUCHENWALD; wagons découverts où dans chacun, étaient entassés 110 déportés morts ou vivants.
Il y avait 11 jours que ces trains étaient partis de POLOGNE ou d’ALLEMAGNE du NORD devant l’avance des Russes.
Compte-tenu des alertes permanentes provoquées par le survol du territoire allemand par l’avitation alliée, aucune lumière n’éclairait le déchargement des convois. Il y avait des convois composés entièrement de Juifs venant d’AUSCHWITZ.
Notre équipe jetait les corps sur le ballast et le train repartait. Parfois, l’amoncellement des corps faisait que certains glissaient sur les rails et étaient déchiquetés.
Nous transportions ces déportés aux douches, mais le contraste de température entre leur séjour à – 15° dans le train et les 25° de la douche les congestionnait.
A dater du 15 Février 1945, il n’y avait plus de charbon pour alimenter les fours crématoires. La situation de BUCHENWALD, sur une colline dominant la plaine d’Iena et la présence d’anciennes carrières de pierre au bas de colline, décida les SS d’établir des fosses communes.
Notre Kommando fut divisé en deux équipes : ceux qui collectaient avec un tracteur et une remorque agricole, les morts de la nuit pour les projeter depuis le sommet de la colline dans les anciennes carrières, et ceux qui rangeaient les corps en répandant sur eux du chlore et un lit de pierres.
Chaque fosse recevait 2.200 corps. Nous avons oeuvré à ce travail hallucinant jusqu’à la Libération.
DE BUCHENWALD à FLOSSENBURG, une route jalonnée de morts (8-23.04.1945)
Depuis le 15 Février, nous étions en alerte permanente, nuit et jour, et les SS étaient de plus en plus féroces.
Ils ont commencé à évacuer le camp dans toutes les directions, au sud de l’Allemagne, en Tchécoslovaquie en particulier.
Au départ, les évacuations se faisaient par chemin de fer, et ensuite à pied, par colonne d’un millier, encadrée par les SS.
La condition des déportés faisaient qu’ils n’avaient rien à emporter.
L’effectif total du camp était de 60.000 déportés ; après les évacuations et à la Libération, nous restions … 20.000 !
LA LIBERATION DU CAMP DE BUCHENWALD
Le camp de BUCHENWALD fut, avec celui de DORA, l’un des premiers en Allemagne à être libéré. La plupart des déportés des camps vivaient, à la veille de leur libération, dans la hantise d’être exterminés au lance-flammes au dernier moment.
La libération du camp fut facilitée par l’action des brigades d’action libératrices qui, constituées des déportés eux-mêmes, prirent d’assaut les positions SS.
Au début d’Avril,nous avons commencé à entendre les bruits des bombardements et des combats.L’inquiétude était de plus en plus grande parmi les rescapés. Nous avons su, après la Libération, que l’armée PATTON américaine était contenue par les allemands à ERFURT. Il existait au camp une usine où étaient fabriqués des appareils servant au téléguidage de la fusée V2, fabriquée à DORA. Quelques camarades ont conçu un émetteur, en forme de transistor, et ils essayaient de passer des messages de détresse aux Américains.
A partir du 8 Avril, l’évacuation des SS commença, et des effectifs d’anciens combattants de 1914 ( » Volksturm » ) les remplaçaient. Nous étions entourés de miradors pourvus de lance-flammes qui pouvaient, en quelques instants,anéantir le camp.
Le 10 Avril, la canonnade se rapprochait, l’angoisse parmi les déportés était de plus en plus vive.
Enfin, le 11 Avril à 15 heures, un détachement de l’armée PATTON, dirigé par un Officier français, arrivait au camp, prenant contact avec le Comité International des Déportés. Tout le monde s’embrassait et croyait rêver de voir enfin ce calvaire se terminer. Cependant, les morts continuaient à être enfouis dans les fosses.
Les responsables déportés ont conduit le détachement libérateur au bloc 58, où étaient empilés, sur 3 étages, les dysentériques qui s’écoulaient les uns sur les autres. Les militaires libérateurs ont pleuré.
Il fut décidé que tous les rescapés valides se réuniraient sur la place d’appel du camp, le 12 avril, pour rendre hommage à nos camarades et faire le serment :
Après l’arrivée du détachement de l’armée PATTON, certains de nos camarades ont découvert, à la porte d’entrée, la présence du SS, responsable des effectifs et des appels quotidiens.
Il fut lynché sur place.
LES PREMIERS RAPATRIES DE BUCHENWALD
Déroulement du retour en FRANCE :
Un convoi suisse, chargé de colis Croix-Rouge, était parti de Suisse avec des camions G.M.C., conduits par des prisonniers de guerre canadiens, internés en Allemagne.Lors de l’avance de l’armée PATTON, les conducteurs canadiens ont été libérés et le chef du convoi suisse a cherché, parmi les frontaliers de la Suisse, des chauffeurs pour rapatrier les camions. J’étais du nombre.
Chargement à ERFURT de prisonniers de guerre français. Le convoi est arrivé à MAYENCE où les ponts de chemin de fer avaient sauté. Nous avons transbordé pendant trois jours des prisonniers de guerre sur les ponts provisoires.
Notre convoi est reparti pour SAINT-AVOLD où nous avons couché. Le lendemain, déjeuner à NANCY où les déportés ont reçu un accueil chaleureux. Nous avons ensuite couché à DIJON et le 23 Avril, j’étais à NANTUA, le premier déporté rapatrié du département.
A BUCHENWALD, les déportés libérés ont été pris en charge par les F.F.I. de Bretagne et ramenés à HAYANGE ( Moselle). Ensuite, ils ont regagné leur lieu de résidence par leurs propres moyens.
L’abbé GAY
L’Abbé GAY était inscrit au groupe de résistance de Témoignages Chrétiens, assurant la diffusion sur le secteur de NANTUA.
Le 14 Décembre 1943, vers 11 heures, il descendait de la paroisse voisine des NEYROLLES où il venait de faire le catéchisme. Bien que prévenu par les personnes qui connaissaient la situation des représailles à NANTUA, il a pris la décsion de rejoindre les personnes arrêtées et gardées à la gare de NANTUA. Lors d’une conversation, il m’a précisé qu’il voulait accompagner ses ouailles.
Interné avec nous à COMPIEGNE, il a immédiatement réuni les gens de NANTUA pour les encourager et leur apporter son réconfort.
Déporté à BUCHENWALD le 21 Janvier 1944, il a pris contact avec le Père Georges, déporté aussi, qui lui a donné des hosties pour les personnes qu’il connaissait.
Il a fait ensuite partie du convoi qui, en Mars 1944, s’est rendu à FLOSSENBURG.
Fin 1944, un commando a été constitué en direction de RADISHKO (Tchécoslovaquie).
Les SS, à l’époque, faisaient construire des fossés anti-chars contre l’avance des Russes. Le travail de terrassement était infernal et chaque soir, le commando rentrait épuisé. L’Abbé GAY se rendait tous les soirs dans les blocs pour soigner et réconforter les malades. Il partit ensuite de FLOSSENBURG avec 9 Nantuatiens. Le matin, au départ du commando, aucun déporté ne voulait être en queue de colonne car de jeunes SS tiraient sur la colonne.
Le 11 Avril 1945, un certain désarroi s’est produit au départ de la colonne et l’Abbé GAY pour éviter des représailles collectives, a demandé à ses camarades de NANTUA de bien vouloir se mettre en queue de colonne. Ils ont tous été blessés. Conduits dans un bois, l’Abbé GAY a administré ses amis et un SS est venu les achever en leur tirant une balle dans la tête. Un seul survivant a été rapatrié et est mort à l’hôpital de LYON; il s’appelait LEROUX et travaillait aux Hypothèques à NANTUA.
Sa famille vient annuellement se recueillir devant le monument départemental des Déportés à NANTUA.
Nous ne pouvons que nous incliner avec respect devant tant de courage !
LOUIS LEYGUE, sculpteur du Monument Départemental de la Déportation à NANTUA
Monsieur LOUIS LEYGUE, né à BOURG en BRESSE en 1905 , décédé à VENDOME en 1992, ancien résistant et déporté, ami personnel de Monsieur Simon PERNOD, est l’auteur de l’imposant monument en hommage aux victimes de la barbarie nazie.
Sur le lac de NANTUA, il a imaginé de faire avancer une sorte de digue étroite d’environ 25 mètres, sur laquelle s’élève une architecture en forme de sarcophage très épais, sans fond ni couvercle, laissant filtrer la lumière. Ce bloc repose sur quatre piliers, s’appuyant sur une large base plate légèrement pyramidale.
Entre cette base, revêtue d’un dallage, et l’énorme bloc de béton, est allongé un immense gisant de pierre, nu, décharné, osseux, aux anguleux méplats et à qui seule la mort semble avoir redonné la sérénité.
Les noms des victimes sont gravés sur la dalle, lui conférant toute sa valeur de symbole. Le passant est comme frappé de stupeur devant tant de réalisme.
Une autre plaque a été scellée en hommage aux victimes de la colonie d’IZIEU.
QUI ETAIT LOUIS LEYGUE :
Nous l’avons dit : un ancien résistant déporté, ami de Monsieur Simon PERNOD
Considéré comme l’un des plus grands sculpteurs du 20 ème siècle, il fut très jeune, Grand Prix de ROME en 1931, après avoir été reçu premier au difficile concours de l’Ecole Supérieure des Arts Décoratifs.
LE SITE INTERNET DE MONTREAL LA CLUSE se devait de rendre un hommage particulier à Monsieur Louis LEYGUE, qui avec Monsieur Simon PERNOD, est à l’origine de monument qui ne laisse personne indifférent.
Nous nous inclinons également avec une grande émotion à la lecture des témoignages de Monsieur SIMON PERNOD, que nous avons bien connu et apprécié au regard de son humanisme dont il a toujours su faire preuve en dépit de ses terribles souffrances de déporté, et dont il parlait très rarement ,avec une réserve étonnante. Sans doute, cette terrible époque de sa vie, bien que rarement exprimée, était sans cesse présente dans sa mémoire.
REPOSEZ EN PAIX Monsieur PERNOD !Transcrit avec l’autorisation de la famille par Raymond BURGOD.